Leemet est le dernier des hommes à parler la langue des serpents. Depuis les entrailles de la forêt il laisse affleurer à sa mémoire les souvenirs de ce temps où les hommes et les bêtes peuplaient le bois en bonne entente.
Dans cette fresque inspirée des saga scandinaves, le roman, retrace la vie d'un jeune homme qui, vivant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître, la modernité l'emporter et le monde sauvage se détacher de nos humanités.
"La forêt n'est plus la même.
Ou peut être tout simplement
que je ne la reconnais plus.
Elle s'est fait nonchalante et se glisse
là où elle n'était pas.
Ce sont les hommes qui lui ont laissé la place libre.
De même qu'ils ont libérés leurs loups,
ils l'ont libérée de ses entraves et elle s'est étalée.
Bien sûr il y a encore les villageois :
eux aussi viennent en forêt de temps en temps,
mais elle leur fait peur.
Ils ont inventé toutes sortes de croquemitaines.
Même les génies des bois ils y croient...
La sottise est plus forte que la sagesse.
La bêtise est coriace comme une racine ancrée
dans le sol que les hommes foulaient jadis.
La forêt foisonne,
il naît de plus en plus de gens au village ;
et moi je suis le dernier homme
à savoir la langue des serpents. »
Un souffle épique
Dans nos voix il y a encore quelque chose d'un grognement de bête
Les gens dégénèrent... Ils perdent leurs crocs
Affûter la langue...
L'intention face à un tel bijou a été d'emblée de lui conserver sa dimension initiatique et son souffle épique :
Cartographier l'histoire, repérer ses lignes de force et sa structure générale et lui construire un socle de représentations et d'images. Puis plonger dans la langue, s'en imprégner et en cueillir quelque pépites littéraires. Le travail d'écriture : c'est une partition orale semi fixée...
En appui sur les grandes traditions épiques, il procède par tannage pour ciseler au fil des passages sa poétique stable autant que libre.
Dire, traverser le feu de l’œuvre et se laisser ouvrager par la puissance de sa langue. Se laisser finement pétrir par tout le champs sensoriel des représentations.
La création musicale :
Un chant des profondeurs …
Il y a eu […] de charmants petits peuples qui apprirent la musique aussi simplement qu’on apprend à respirer. Leur conservatoire, c’était le rythme éternel de la mer, le vent dans les feuilles et mille petits bruits qu’ils écoutèrent avec soin… (Claude Debussy, Du goût)
Tutoyer l'impalpable en appui sur le silence...
La composition musicale suit également la trace qu'ont laissé les traditions orales...
Le silence y est une source depuis laquelle jaillit le souffle musical du violoncelle. Deux musicalité se rencontrent ainsi et se tutoient alors à fil de récit.
Le compositeur Arvo Pärt n'est pas bien loin qui insuffle de cette liberté minimaliste et épurée qui le caractérise. L’archet s’élance d'abord sans retenue, où texture sonore et timbres priment sur l’architecture harmonique. Peu à peu les deux voix s’accordent et le rythme du récit, s’impose. Alors, comme le propose Pierre Schaeffer dans Le traité des objets musicaux, l'implication du musicien peut suivre une double orientation : elle répond d’une part aux sollicitations que proposent la conteuse et le récit ; et répond d’autre part à une inspiration autonome.
Au fil des improvisations, on entre peu à peu dans l’écriture structurelle (non-figée) du récit musical.
Je ne reconnais plus la forêt. Elle se fiche bien de moi, et prend toute la place.
Une expérience en partage
Composer avec le vide, danser avec les silences, chercher les accents toniques de l’œuvre et sa rythmique, trouver l'équilibre, et laisser place à l'évocation. Il s'agit pour les deux artistes de trouver l'endroit de l'instantané partage. Jouer à deux les équilibristes, en écoute fine, supportés par le souffle, le corps, la présence, la musicalité des mots et la force des images, pour offrir au public de traverser à son tour, et sortir riche d'une expérience intime et partagée.
© Xavier Boymond
Adaptation et récit
Virginie KOMANIECKI
Composition, violoncelle, chant
Thierry Renard
Accompagnement artistique Alberto Garcia Sanchez
Durée 120 minutes
Public à partir de 12 ans